Wilfredo Lam, dès l’enfance, n’a jamais connu de miroir qui ne reflète comme pour. Tout le monde qu’une seule réalité. N’a jamais connu un paysage natal qui ne mêle pas étroitement des images d’enfer et de paradis. N’a jamais connu d’hommes qui ne descendent pas à la fois d l’ombre et de la lumière dans leurs sangs abruptement métissés. Tout regard caraïbe est d’abord modulé par le jeu permanent du soleil filtré par les cannaies et les persiennes, qui modèle toutes les ombres en formes improvisées amusantes ou angoissantes, échappant toujours à l’élucidation des perspectives clarifiées.
Chacun de ses regards sur lui-même, sur le monde et sur les hommes recomposait un tableau qui révélait ou cachait plus de choses qu’il n’était permis, par exemple deux visages de lui-même dans la glace du salon. Et puis un jour précis de 1907 : l’ombre d’un oiseau dans la chambre, affolé par le vacarme au-dehors des sabots d’un cheval, le costume sans tête du père balancé sur un cintre, comme un homme décapité, et l’obligation pour lui de composer tout seul la scène monstrueuse décomposée par les rayures d’ombre et de soleil, que toute œuvre n’aura de cesse d’exorciser en la rejouant sur bien des toiles afin d’éclairer ses fantômes en osant inventer ses visions fondatrices : chevaux domptés, oiseaux charmés posés en guise de tête sur les humains assoiffés d’envol hors des vies enchaînées.
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