Ouattara Watts

1990

Ouattara

 

Avant de la regarder, écoutez-là cette œuvre.

 

Ceux qui savent juger d’une peinture à l’oreille reconnaîtront ce souffle. Sourd, puissant et rauque qui signe les arts essentiels en grondant derrière eux comme le moteur de leur secret.

 

Brun vrombissement de rhombes, acide stridence des sifflets et des cris, brouhaha étouffée des palabres secrets, scies, millions de scies, des élytres et mandibules, feulements des vents et des poussières, toute la basse continue de la continuelle messe basse du cosmos. Il souffle là un râle aussi rauque que celui des prêtres de l’antique Dodone arrachaient au grand chaudron de bronze en le fustigeant de leurs cordes en cuir. Ils reconnaissent la voix, pouvaient traduire la langue : c’était celle du Tout, celle qui monte encore du crépuscule des savanes et de la caverneuse gorge de masques.

 

Avant même de s’ouvrir sur cette œuvre, l’œil y a entendu, dans son lointain, la grave psalmodie du Tout.

 

Puis l’œil s’ouvre. Mais l’œil s’est-il vraiment ouvert ? Plus exactement, sur quoi s’ouvre un œil quand il s’ouvre la nuit ? Quand il s’ouvre sur ce que nul œil ne peut voir ? Sur quoi s’ouvrent nos yeux lorsqu’ils ne s’ouvrent pas sur le visible ? Car c’est bien ce qui se passe ici. L’invisible est, selon son propre dire, l’unique préoccupation picturale de Ouattara.

 

(continued)

 

Gérard Barrière